Constitutionnalité des principales dispositions de la loi limitant l’engrillagement des espaces naturels

Au nom du principe de la continuité écologique, les animaux sauvages doivent pouvoir circuler librement, tel est l’objectif affiché de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (JORF n° 0029 du 3 février 2023).

Par une décision QPC du 18 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité des principales dispositions de cette loi aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Principe

La loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (JORF n° 0029 du 3 février 2023) a inséré, dans le code de l’environnement (article L. 372-1 al. 1) le principe selon lequel :

« Les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-9 du code de l’urbanisme ou, à défaut d’un tel règlement, dans les espaces naturels permettent en tout temps la libre circulation des animaux sauvages ».

Ces clôtures doivent être posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune. Les schémas régionaux en définissent les matériaux naturels ou traditionnels dans lesquels elles doivent être réalisées.

Point important de la loi, fortement contesté par ses contempteurs : les clôtures existantes devront être mises en conformité avant le 1er janvier 2027 sauf si elles ont été réalisées plus de trente ans avant la publication de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023, soit avant le 2 février 1993. Mais toute réfection ou rénovation de clôtures construites plus de trente ans avant la promulgation de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 précitée doit être réalisée dans le respect des nouvelles conditions légales.

Exceptions

Par exception, la loi a prévu que ce principe ne s’applique pas :

1° Aux clôtures des parcs d’entraînement, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse ;

2° Aux clôtures des élevages équins ;

3° Aux clôtures érigées dans un cadre scientifique ;

4° Aux clôtures revêtant un caractère historique et patrimonial ;

5° Aux domaines nationaux définis à l’article L. 621-34 du code du patrimoine ;

6° Aux clôtures posées autour des parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ;

7° Aux clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ;

8° Aux clôtures posées autour des jardins ouverts au public ;

9° Aux clôtures nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à tout autre intérêt public.

Sanctions

Est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende, le fait d’implanter ou de ne pas mettre en conformité des clôtures dans les espaces ou zones naturels en violation de l’article L. 372-1 du Code de l’environnement (art. L. 415-3 du Code de l’environnement).

De plus, le permis de chasser ou l’autorisation de chasser mentionnée à l’article L. 423-2 peut être suspendu par l’autorité judiciaire lorsqu’é été constatée une non-conformité des clôtures implantées dans les conditions prévues par la loi du 2 février 2023.

Déclaration préalable des créations ou suppressions de clôtures

L’implantation de clôtures dans les espaces naturels et les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du PLU en application de l’article L. 151-9 du Code de l’urbanisme est soumise à déclaration. 

L’article L. 424-3-1 du Code de l’environnement prévoit que tout propriétaire d’un enclos prenant la décision d’en supprimer la clôture ou se conformant à l’article L. 372-1 procède à l’effacement de celle-ci dans des conditions qui ne portent atteinte ni à l’état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoire. Dans le cas où une des atteintes résulte de l’effacement d’une clôture, celui-ci est soumis à déclaration préalable auprès du représentant de l’Etat dans le département où l’enclos est situé.

Question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par le Conseil d’Etat

Plusieurs groupements forestiers ont formé un recours contre l’arrêté interministériel du 8 avril 2024 (JORF n°0083 du 9 avril 2024) fixant les modalités de déclarations préalables à l’effacement de clôtures en application de l’article L. 424-3-1 précité. Cet arrêté précise les modalités de la déclaration préalable qui doivent être mises en œuvre par tout propriétaire d’un espace clos empêchant complètement le passage des animaux non domestiques avant de procéder à l’effacement de sa clôture ou à sa mise en conformité au sens de l’article L. 372-1 du code de l’environnement, lorsque celui-ci est susceptible de porter atteinte à l’état sanitaire, aux équilibres écologiques ou aux activités agricoles du territoire.

A l’occasion de ce recours, les groupements forestiers ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) estimant notamment que le nouvel article L. 372-1 du Code de l’environnement n’est pas conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution. 

Ils faisaient valoir que ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile, qu’elles portent une atteinte à l’exercice du droit de propriété disproportionnée par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis en ce qu’elles ont pour effet d’interdire aux propriétaires d’édifier des clôtures permettant d’éviter l’intrusion de personnes ou d’animaux sur leur propriété privée. A cet égard, les requérants reprochaient au nouvel article L. 372-1 d’imposer aux propriétaires fonciers la mise en conformité des clôtures implantées sur leurs terrains sans prévoir une indemnisation. 

Ils reprochaient également à ces dispositions de remettre en cause le droit de se clore en interdisant aux propriétaires d’édifier ou de maintenir des clôtures protégeant leur bien de toute intrusion. Selon eux, cette interdiction, dont le champ d’application serait trop large, ne serait pas justifiée par un motif d’intérêt général. Il en résulterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété, garanti par l’article 2 de la Déclaration de 1789.

Les requérants soutenaient aussi que ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée aux situations légalement acquises par leurs propriétaires en prévoyant la mise en conformité obligatoire des clôtures existantes de moins de trente ans, qu’elles méconnaissent le principe d’égalité devant la loi, en traitant différemment les propriétaires de clôtures selon qu’elles ont été édifiées avant ou après le 2 février 1993, alors qu’ils se trouvent dans une situation identique au regard des objectifs tendant à permettre la libre circulation des animaux sauvages, à restaurer les continuités écologiques, à préserver la qualité des espaces ruraux ou à lutter contre les risques sanitaires et d’incendie poursuivis par la loi.

Le Conseil d’Etat a estimé que cette question, prise en ses différentes branches, présentait un caractère sérieux. Il l’a renvoyée au Conseil constitutionnel (CE 24 juillet 2024, req. n° 493887).

Décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2024

Par une décision du 18 octobre 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcée sur cette QPC.

Sur l’atteinte au droit de propriété, il a tout d’abord reconnu qu’il résulte du droit de propriété le droit pour le propriétaire de clore son bien foncier.

Mais, relevant que la loi ne vise qu’à soumettre l’implantation, la réfection ou la rénovation de clôtures au respect de certaines caractéristiques, le Conseil constitutionnel juge que, si cette obligation peut conduire à la destruction d’une clôture, elle n’entraîne pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 mais une limitation à l’exercice du droit de propriété.

Le Conseil constitutionnel relève ensuite, au regard de travaux parlementaires, que le législateur a entendu permettre la libre circulation des animaux sauvages dans les milieux naturels afin de prévenir les risques sanitaires liés au cloisonnement des populations animales, de remédier à la fragmentation de leurs habitats et de préserver la biodiversité. Ce faisant, il a notamment poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. 

Dans le même sens, le Conseil constitutionnel juge, d’une part, que la loi contestée ne fait pas obstacle à l’édification d’une clôture continue et constante autour d’un bien foncier afin de matérialiser physiquement le caractère privé des lieux pour en interdire l’accès aux tiers ; d’autre part, que les habitations et les sièges d’exploitation d’activités agricoles ou forestières situés en milieu naturel peuvent être entourés d’une clôture étanche, édifiée à moins de 150 mètres des limites de l’habitation ou du siège de l’exploitation.

Enfin, il retient que le législateur a circonscrit le champ de l’obligation prévue par les dispositions contestées par une série d’exceptions.

Il en résulte que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les objectifs précités et le droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté. 

Sur l’atteinte à des situations légalement acquises, le Conseil constitutionnel reconnaît qu’en imposant la mise en conformité des clôtures existantes régulières, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises.

Toutefois, le Conseil relève, en premier lieu, qu’il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu réduire le nombre des enclos étanches en milieu naturel eu égard aux conséquences sur l’environnement de leur multiplication au cours des trente dernières années. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement ainsi que les objectifs d’intérêt général précités.

En deuxième lieu, d’une part, les propriétaires ont jusqu’au 1er janvier 2027 pour mettre en conformité leurs clôtures. D’autre part, l’obligation de mise en conformité des clôtures existantes ne s’applique pas aux clôtures réalisées depuis plus de trente ans avant la publication de la loi du 2 février 2023.

En dernier lieu, ces dispositions n’empêchent pas les propriétaires de maintenir des clôtures existantes, afin de matérialiser physiquement leur propriété pour en interdire l’accès aux tiers, à la condition qu’elle respecte les caractéristiques qu’elles prévoient. En outre, elles s’appliquent sous réserve de plusieurs exceptions.

De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que l’atteinte portée aux situations légalement acquises est, en l’espèce, justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et proportionnée aux buts poursuivis. Il écarte ainsi le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789.

En conclusion, sont conformes à la Constitution :

  • Les première, deuxième, quatrième, cinquième, sixième et dernière phrases du premier alinéa de l’article L. 372-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée ;
  • Les mots « ou se conformant à l’article L. 372-1 » figurant au paragraphe I de l’article L. 424-3-1 du même code, dans la même rédaction ;
  • L’avant-dernière phrase du dernier alinéa de l’article L. 428-21 du même code, dans sa rédaction résultant de la même loi.
  • Et, sous la réserve énoncée au paragraphe 48 de la décision, les mots « notamment aux enclos » figurant au 2 ° du paragraphe I de l’article L. 171-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023.

=> Accéder au texte intégral de la Décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2023 en cliquant ici.