Constitutionnalité des dispositions de la loi industrie verte permettant la reconnaissance anticipée de la RIIPM

Par décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel a jugé que le second alinéa de l’article L. 411-2-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, est conforme à la Constitution.

Cette nouvelle disposition, appelée reconnaissance anticipée de la « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM), prévoit que :

« Le décret, prévu au I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4 ° du I de l’article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue au même c ».

Ce texte, contrairement à d’autres dispositions récentes, ne crée pas une présomption de RIIPM.

En revanche, il facilite, pour certains projets industriels, l’obtention d’une dérogation à l’interdiction d’atteinte à une espèce protégée, d’une part, en permettant que le projet reçoive rapidement la qualification de RIIPM et, d’autre part, en limitant la possibilité de contestation de cette qualification (NB : c’est l’absence de RIIPM qui a conduit récemment à l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale des travaux de l’A69 : TA Toulouse, 27 février 2025, req. n° 2303544, 2304976, 2305322, C+).

Les griefs d’inconstitutionnalité

Les requérants reprochaient à cette disposition de ne pas préciser suffisamment les critères permettant de reconnaître de façon anticipée une RIIPM. Selon eux, cette reconnaissance relèverait dès lors d’une appréciation discrétionnaire de l’administration qui ne serait pas, compte tenu du stade précoce de la procédure auquel elle intervient, en mesure d’évaluer les incidences concrètes du projet sur l’environnement. Ces dispositions seraient ainsi entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant les articles 1er, 2 et 5 de la Charte de l’environnement et méconnaîtraient ces mêmes exigences constitutionnelles.

Les requérants soutenaient également que, en prévoyant que la contestation de cette reconnaissance ne peut intervenir qu’au stade de l’édiction du décret qualifiant un projet d’intérêt national majeur, ces dispositions ne permettraient pas au juge d’exercer son contrôle en tenant compte des caractéristiques concrètes du projet. En outre, elles priveraient certains tiers, qui pourraient ultérieurement être concernés par la mise en œuvre d’un tel projet, de la possibilité de contester utilement cette décision. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs.

Pas d’atteinte au droit au recours

En premier lieu, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu réduire l’incertitude juridique pesant sur certains projets industriels. Il a donc poursuivi un objectif d’intérêt général.

En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel a jugé que si ces dispositions privent un requérant de la possibilité de contester la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées, cette restriction ne s’applique que dans le cas où cette reconnaissance bénéficie à des projets industriels qualifiés d’intérêt national majeur en raison de leur importance pour la transition écologique ou la souveraineté nationale.

Sur ce point, l’on ne peut manquer de regretter que la motivation de la décision du Conseil constitutionnel soit si brève car elle semble bousculer une jurisprudence administrative bien établie.

En fermant la voie de l’exception d’illégalité du décret de reconnaissance anticipée de la RIIPM, la loi critiquée rabote le principe de légalité tel qu’il est appliqué par le Conseil d’Etat (voir notamment pour les actes réglementaires : CE 24 janvier 1902, Avezard, R. p. 44 et les considérants n° 3 et n° 4 du fameux arrêt CFDT Finances : CE Ass. 18 mai 2018, CFDT Finances, req. n° 414583, R. p. 187 ; et pour les actes non réglementaires, dans le cadre des opérations complexes, voir : CE 29 juin 1951, Lavandier, R. p. 380 ; CE 4 juillet 1997, Les Verts Ile-de-France et autres, req. n° 143842).

En cet état du droit, lorsqu’il n’y avait pas eu de recours direct contre un acte règlementaire ou un acte recognitif illégal, la contestation de cet acte par la voie de l’exception d’illégalité permettait d’éviter « l’application indéfinie de dispositions illégales », ce qui aurait été « contraire à l’ordre public juridique » (Président Odent cité in GAJA, p. 951).

Dans sa décision du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel apporte un sérieux tempérament au principe de légalité ainsi compris.

Le mécanisme de l’exception d’illégalité n’aurait-il qu’une valeur infra-législative ?

Ou le Conseil constitutionnel a-t’il simplement estimé que le décret de reconnaissance anticipée de la RIIPM prévu par la loi industrie verte, est d’une nature particulière1 permettant de le soustraire au mécanisme de l’exception d’illégalité sans affaiblir l’importance de ce mécanisme ?

Cherchant un point d’équilibre, le Conseil constitutionnel préserve tout de même le mécanisme de la demande d’abrogation. Il juge que le législateur n’a pas remis en cause le principe de légalité dans la mesure où, après l’expiration du délai de recours contentieux, une demande d’abrogation du décret illégal reste possible, tout comme le recours contre le refus d’abroger ce texte :

« les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la possibilité ouverte à toute personne ayant un intérêt à agir de demander, dans les conditions du droit commun, l’abrogation des décrets prévus par les dispositions contestées devenus illégaux en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur édiction et de former des recours pour excès de pouvoir contre d’éventuelles décisions de refus explicites ou implicites ».

En somme, pour le Conseil constitutionnel, exposer un décret illégal à un risque d’abrogation est suffisant pour préserver le principe de légalité et l’ordre public, peu importe qu’il ne soit plus possible d’en soulever l’illégalité par voie d’exception.

Pas d’atteinte à la Charte de l’environnement

Relevant par ailleurs que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d’une dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées, le Conseil constitutionnel a jugé qu’elles ne méconnaissent pas la Charte de l’environnement.

En insistant sur ce dernier point, notamment sur le respect des deux autres conditions de fond qui, outre la reconnaissance d’une RIIPM, permettent de déroger à l’interdiction d’atteinte à une espèce protégée, le Conseil constitutionnel livre une interprétation stricte des nouvelles dispositions :

« il appartient ensuite à l’autorité administrative compétente, lors de la délivrance de la dérogation, de s’assurer qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Ce faisant, sans aller jusqu’à une véritable interprétation neutralisante, le Conseil constitutionnel refroidit la tentation de certains de voir, dans la reconnaissance anticipée de la RIIPM, l’octroi quasi-automatique d’une dérogation. Et l’on sait combien, désormais, le juge administratif est attentif au respect des autres conditions, notamment « d’absence d’autre solution satisfaisante« , y compris pour des projets d’énergie renouvelable (voir par exemple pour un projet photovoltaïque : CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 31 mai 2024, req. n° 23MA00806).

=> Accéder au texte intégral de la décision et au dossier du Conseil constitutionnel : Décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2024

  1. La nature de ce décret peut soulever des interrogations : il ne semble pas s’agir d’une décision individuelle créatrice de droit, faute d’accorder des droits à une personne désignée. Il paraît également peu probable qu’il s’agisse d’un acte réglementaire au sens strict. Nous penchons pour le régime de l’acte sui generis, à caractère recognitif, comme peut l’être une DUP. Dans ce cas, le mécanisme de l’exception d’illégalité aurait trouvé à s’appliquer à ce décret (en vertu notamment de la théorie des opérations complexes), ce à quoi font obstacle les dispositions de la loi industrie verte. ↩︎