Proposition de loi TRACE modifiant l’objectif ZAN
C’est un virage serré, dessiné par la loi Climat et résilience et la Convention citoyenne pour le climat, qu’emprunte le droit de l’urbanisme en intégrant l’objectif national « Zéro artificialisation nette des sols » (ZAN). A la sortie de ce virage, en 2050, est prévue « l’absence de toute artificialisation nette des sols ». Pour cela, au cours de la première étape décennale (2021-2031), la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers est censée ralentir pour être inférieure à la moitié de celle observée les dix années précédentes.
Pour certains, ce virage ZAN a un rayon trop grand. La trajectoire serait trop lente (cf. avis émis le 25 janvier 2023 par le CESE). Pour d’autres, le virage du ZAN est une épingle bien trop serrée ; d’autant plus difficile à négocier que la crise du logement est violente et que l’effort de réindustrialisation nécessite des disponibilités foncières.
Dans cette situation, les sénateurs proposent de remettre de nouveau l’ouvrage sur le métier, en ne parlant plus de ZAN mais de TRACE, le tout avec le soutien annoncé du Premier Ministre (cf. Questions d’actualité du 20 nov. 2024).
Rapport d’information du 9 octobre 2024
Au début de l’année 2024, le Sénat a mis en place un groupe de suivi transpartisan des politiques de réduction de l’artificialisation des sols. Ce groupe a dressé le constat, après six mois de travaux, de blocages et de difficultés persistants dans les territoires, en dépit des assouplissements apportés à la loi Climat et résilience.
Le sénateur Jean-Baptiste Blanc, auteur du rapport d’information, relevait « une logique comptable et statique qui échoue à prendre en compte les spécificités, la diversité des dynamiques démographiques et économiques, mais également les choix et priorités de développement local » (voir le rapport d’information « Mettre en oeuvre les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols à droit constant : la quadrature du cercle ? » n° 19, déposé le 9 octobre 2024, à lire ici).
Dénonçant des rigidités et des « malfaçons du droit en vigueur« , le rapport d’information dessinait plusieurs pistes d’évolutions législatives, réglementaires et de pratique administrative pour assouplir l’objectif ZAN.
Ce rapport a été présenté à Matignon le 24 octobre 2024.
La proposition de loi d’initiative sénatoriale, qui a été rendue publique le 13 novembre 2024, en est la suite annoncée.
Rebattre les cartes d’un jeu trop complexe
Issu du rapport d’information précité, cette proposition de loi vise à « instaurer une Trajectoire de Réduction de l’Artificialisation Concertée avec les Elus locaux (TRACE) » (Texte n° 124, 2024-2025, de MM. Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc, déposé au Sénat le 7 novembre 2024).
Déposée le 7 novembre 2024, elle a été rendue publique le 13 novembre 2024.
=> Elle est à lire ici.
=> Son exposé des motifs est à lire ici.
Modifications substantielles de l’objectif ZAN pour devenir la TRACE
En synthèse, cette proposition de loi prévoit des modifications substantielles sur les points suivants :
- redéfinition de l’artificialisation des sols limitée à la seule notion de consommation d’ENAF : « l’artificialisation des sols est définie comme la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers » (art. 1er et 2 de la proposition de loi) ;
- redéfinition de la renaturation, ou de la désartificialisation, comme « la transformation effective d’espaces urbanisés ou construits en espaces naturels, agricoles et forestiers » ;
- redéfinition majeure de l’objectif général fixé à l’article 191 de la loi Climat et résilience qui deviendrait un objectif d’absence de toute consommation nette d’ENAF en 2050 (et non plus l’absence de toute artificialisation nette au sens plus précis de la version actuelle de la loi) ; la trajectoire nationale de sobriété foncière se traduirait par une diminution tendancielle de la consommation d’ENAF sans les jalons décennaux contraignants prévus initialement par la loi de 2021 ;
- abrogation de l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation à l’échelle nationale sur la décennie 2021-2031 par rapport à la décennie précédente ;
- révision du calendrier de « ZANification » des documents de planification : les dates butoirs de 2024 pour les schémas régionaux, de 2027 pour les SCoT et de 2028 pour les PLU(i) seraient respectivement repoussées à 2026, 2031 et 2036 ;
- exclusion et non-mutualisation des projets d’envergure nationale et européenne (« PENE ») au sein des enveloppes de consommation d’Enaf fixées aux niveaux régionaux et locaux, assurant ainsi que ces dernières ne seront pas grevées par des projets ne relevant pas de l’initiative de la région ou des collectivités locales (art. 4 de la proposition de loi) ;
- modification de la gouvernance avec l’organisation d’une conférence régionale de gouvernance « de la sobriété foncière » (actuellement prévue à l’article L. 1111-9-2 du CGCT) ; cette conférence, dont le fonctionnement resterait du ressort de la région, pourrait être dotée d’un pouvoir décisionnel car elle déterminera notamment la répartition de l’enveloppe foncière régionale entre « les différentes collectivités territoriales » (sic), en tenant compte des projets et besoins à court et moyen terme signalés par ces dernières.
Premières interrogations sur la proposition de loi TRACE et confrontation aux textes européens
L’un des points essentiels de la proposition de loi est l’abandon du nouveau mécanisme, qui devait entrer en application à partir de 2031, reposant sur « l’occupation effective des sols observée« . Les sénateurs proposent d’alléger cette technique sans passer par des décrets d’application. Ils rebaptisent au passage « la réduction de l’artificialisation » en « sobriété foncière« . Pourtant, la notion de réduction de l’artificialisation réelle des sols, annoncée en 2021 comme un changement de paradigme, a déjà entrainé des mesures d’application et le développement de nouveaux outils géomatiques (cf. la nomenclature et les fameux polygones prévus par le décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023, cf. article R. 101-1 du Code de l’urbanisme et son annexe). Au moment où ces outils commencent à être appréhendés par les territoires (voir pour certains mis en application anticipée), ils pourraient être totalement revus au profit d’une appréciation de la notion « sobriété foncière » prétendument plus simple (mais souffrant de biais).
Une autre interrogation porte sur la réforme de la gouvernance. L’on peut tout d’abord s’étonner que la proposition de loi ouvre la gouvernance de la sobriété foncière aux communes non couvertes par un document d’urbanisme, aux parlementaires et aux représentants des Départements dont les compétences en matière de planification ne semblent pas évidentes. L’on est ensuite surpris du pouvoir qui pourrait être confié à la conférence régionale. Celle-ci pourrait, non plus seulement émettre des analyses, des avis ou des propositions comme le prévoit le texte actuel, mais elle pourrait décider. Il lui reviendrait de déterminer la répartition de l’enveloppe foncière régionale. Cette détermination s’imposerait aux documents d’urbanisme (dans un rapport de prise en compte, certes relativement élastique). Cette répartition se ferait de surcroît à l’échelle des « collectivités territoriales » ce qui ne manque pas de surprendre car le périmètre des trois collectivités territoriales métropolitaines (au sens constitutionnel du terme) ne correspond pas à l’échelle des compétences SCoT ou PLU(i). L’on peine d’ailleurs à comprendre l’intérêt qu’il y aurait à travailler à l’échelle du Département notamment.
Enfin, il faudra confronter cette proposition de loi TRACE à la proposition de Directive du parlement européen relative à la surveillance et à la résilience des sols (proposition de Directive sur la surveillance des sols, du 5 juillet 2023, COM(2023) 416 final, à lire ici). Cette proposition de Directive a pour finalité l’atteinte d’un bon état des sols en 2050. Sur la notion d’artificialisation des sols et de désartificialisaiton, elle retient des définitions réelles et physiques. Elle prévoit l’adoption d’un cadre de surveillance de l’artificialisation des sols avec des critères précis d’évaluation (art. 6 et 7). Et elle imposera aux Etats membres, si elle entre en application, de « faire en sorte que l’artificialisation ait le moins d’incidences négatives possible sur les sols » en compensant autant que possible « la perte de capacité des sols à fournir différents services écosystémiques » (art. 11).
Cette proposition de Directive a fait l’objet d’une position favorable en première lecture de la part du Parlement européen le 10 avril 2024.
Rappel paradoxal : dans une résolution européenne adoptée le 5 juillet 2024, le Sénat prenait acte des principes établis par la proposition de Directive européenne. Il rappelait son attachement à l’objectif ZAN français et souhaitait que la Directive ne le remette pas en cause. Il allait même plus loin en exprimant ses « réserves sur la définition proposée en matière d’artificialisation des sols qui exclut de nombreux phénomènes participant à la dégradation des fonctions des sols, en contradiction avec la définition qu’en donne le code de l’urbanisme » (accéder à la résolution du 5 juillet 2024, ici).
Soutien du Premier ministre et mesures anticipées
Le 20 novembre 2024, lors des questions d’actualité devant le Sénat, le Premier ministre a pris une position forte sur ce thème.
1/ Le Premier ministre a tout d’abord indiqué que l’objectif général du ZAN devait rester effectif.
2/ Mais il a annoncé vouloir desserrer le dispositif actuel du ZAN.
3/ Il a annoncé que le gouvernement « allait soutenir la proposition de loi TRACE« .
4/ En attendant cette évolution législative, le Premier ministre a annoncé une modification des décrets de 2023, notamment pour que les jardins ne soient plus considérés comme des surfaces artificialisées, et afin que les projets d’envergure soient décomptés autrement.
5/ Le gouvernement devrait par ailleurs rappeler aux préfets les souplesses d’ores et déjà permises par la circulaire du 31 janvier 2024 dite « des 20% » (circulaire qui ne manque pas de soulever quelques questions de droit tant elle paraît diluer les termes de la loi).
Travaux parlementaires et nouveaux décrets à suivre.